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J.D. Dubois (supplément au
Cahier Évangile 77 p. 80 à 83) parle ainsi du Canon de Muratori:
« cette liste des textes canoniques du Nouveau Testament porte le nom de son
inventeur; elle fût dénichée au XVIIIième siècle dans un manuscrit latin
(du VIIIième ?) de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, et publié en 1740
[...] Cest dire que ce texte a circulé et a été transmis au moins pendant
plusieurs siècles. Écrit avec de nombreuses fautes dorthographe, le texte recopié
par le scribe na pas
été toujours compris et remonte sans doute à un original grec. Ce texte pose ainsi
plusieurs problèmes de traduction [...] ».
La datation de cette liste est encore sujet à discussions. Si certains
cherchent à la dater tardivement de la période de constitution des listes des textes
canoniques (IV ième siècle), selon J.D. Dubois il existe de sérieuses
hypothèses permettant une datation de la fin du II ième siècle ou du début
du III ième siècle. Il sagit notamment:
de la référence au caractère récent du Pasteur dHermas qui
plaide pour une élaboration de la liste encore au II ième siècle,
du renvoi à la liste close des prophètes et des apôtres qui
sous-entend que la crise montaniste à déjà eu lieu et plaide pour une élaboration à
la fin du II ième siècle au plus tôt.
Le début du texte est mutilé et devait
comporter une notice sur lÉvangile de Matthieu et sur celui de Marc, puisque le
paragraphe concernant Marc (qui devait donc être présent sur la partie manquante du
manuscrit) se termine ainsi:
"[Marc sest conformé aux prédications
de Pierre, à celles] du moins auxquelles il fut présent, et a rédigé daprès
cela". |
Daprès M.J. Lagrange.
Cette première ligne du fragment de Muratori, probablement relative à Marc est
reconstituée, Matthieu venait donc en premier.
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La traduction du
fragment de Muratori
Comme le note J.D. Dubois dans son article du
« supplément au Cahier Évangile 77 » la traduction du fragment de Muratori
pose des problèmes aux traducteurs. Je suis bien daccord avec lui sur ce point, et
javoue, que les lectures successives de deux traductions en ma possession me
laissent quelque peu perplexe. Pour faciliter la mise en évidence de leurs points communs
et de leurs différences, jai disposé en colonnes (à la manière dune
synopse) ces deux textes. Jengage chacun à lire avec une attention toute
particulière les portions de texte en rouge; ce sont celles qui présentent des différences notables
dune traduction à lautre: un ajout (ou un manque ?) dun texte à
lautre, un sens différent, etc.
P. Vallin
" Le Canon
des Ecritures " p 233 - 234
Lection Divina - 1990 |
M.J. Lagrange
" Histoire
ancienne du Nouveau Testament "
Paris - 1933 |
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"[Marc sest
conformé aux prédications de Pierre, à celles] du moins auxquelles il fut présent, et
a rédigé daprès cela. |
" ... Troisième livre
de lEvangile, selon Luc. Luc, ce médecin, après lascension du Christ, alors
que Paul lavait pris auprès de lui en tant quexpert en droit, en son nom pense-t-on, écrivit. |
Troisièmement, le livre de
lEvangile selon Luc. Ce Luc était médecin. Après lascension du Christ, Paul
layant pris pour second à cause de sa connaissance du droit, il écrivit avec son assentiment ce quil jugeait bon. |
Il navait pourtant pas vu lui-même
le Seigneur dans la chair. Et pourtant, dans la mesure où il put y réussir, il entreprit
de dire, en commençant par la nativité de Jean. |
Cependant lui non plus ne vit pas le
Seigneur dans la chair. Et par conséquent selon ce dont il avait pu sinformer il
commença à le dire à partir de la nativité de Jean. |
Quatrième livre de Evangiles, de Jean,
lun des disciples. A ses co-disciples et aux évêques qui lexhortaient, il
dit: " Jeûnez avec moi un triduum, et ce qui sera révélé à chacun,
nous le narrerons les uns aux autres. " |
Le quatrième Evangile est de Jean,
lun des disciples. Comme ces condisciples et ses évêques lexhortaient, il
leur dit: Jeûnez avec moi à partir daujourdhui durant trois jours et nous
nous raconterons les uns les autres ce qui nous aura été révélé. |
La même nuit, il fut révélé à André,
lun des apôtres, que Jean, avec lassentiment de tous, en leur nom décrirait
toutes choses. |
La même nuit il fut révélé à André,
que Jean devait tout écrire en son nom propre avec le visa de tous. |
Cest pourquoi, alors que divers sont
les principes enseignés par chacun des livres des Evangiles, ils ne diffèrent en rien
pour la foi des croyants, puisque cest par un esprit unique et principal que toutes
choses sont déclarées, sur la nativité, la passion, la résurrection, la conversation
avec ses disciples et sa venue géminée, la première, méprisée, en humilité, qui a eu
lieu, la seconde, glorieuse, avec la puissance royale, qui aura lieu. |
Et par conséquent, quoique chaque livre
des Evangiles enseigne autrement les premiers faits, la foi des croyants ny fait
aucune différence, puisque cest un même esprit souverain qui expose toute chose
dans chacun deux, sur la nativité, la passion, la résurrection, la conversation
avec ses disciples et son double avènement, méprisé quil fut au premier dans un
état de bassesse, revêtu de la puissance royale au second, glorieux, encore attendu. |
Quoi détonnant, si Jean profère
avec tant de constance chacune de ces choses dans ses lettres, disant de lui-même:
" Ce que nous avons vu de nos yeux, et avons entendu de nos oreilles, et que nos
mains ont palpé, ces choses nous vous les avons écrites. " Ainsi, en effet, il
ne se confesse pas seulement voyant et auditeur, mais aussi écrivain, dans lordre,
de toutes les choses merveilleuses du Seigneur. |
Quy a-t-il donc détonnant à
ce que Jean affirme si fermement chaque chose aussi dans ses épîtres, disant en parlant
de lui: " Ce que nous avons vu de nos yeux et entendus de nos oreilles,
et que nos mains ont touché, voilà ce que nous vous avons écrit "? Car de
cette façon il se donne non seulement comme ayant vu et aussi entendu mais encore ayant
écrit tous les actes admirables du Seigneur selon leur ordre. |
Dautre part, les actes de tous les
apôtres ont été écrits en un seul livre. Luc, à lexcellent Thèophile, fait
comprendre que chacune de ces choses se passait en sa présence; il parle évidemment de
la passion, laissée de coté, de Pierre, mais aussi de Paul partant de la ville pour
lEspagne. |
Mais les actes de tous les apôtres ont
été écrit en un seul livre. Luc fait entendre à lexcellent Théophile que toutes
choses sétaient passées de son temps et il le montre évidemment en laissant de
côté la passion de Pierre et aussi le départ de Paul quittant la ville pour
lEspagne. |
Dautre part, les lettres de Paul,
qui déclarent elles-mêmes, pour ceux qui voulaient comprendre, de quel lieu et pour quel
motif elles ont été envoyées. |
Quant aux épîtres de Paul, quelles elles
sont, de quel lieu ou pourquoi elles ont été adressées, elles-mêmes le font connaître
à ceux qui veulent bien lentendre. |
Avant tout, aux Corinthiens, interdisant
les hérésies du schisme; ensuite aux Galates,[interdisant] la circoncision. Mais, aux
Romains, faisant connaître lordre des Ecritures, et que leur principe est le
Christ, il écrivit plus longuement. |
Tout dabord aux Corinthiens pour
leur interdire le schisme de lhérésie et en suite aux Galates la circoncision. Il
a écrit plus longuement aux Romains pour leur inculquer quel est le rang des Ecritures,
et comment le Christ en est le principe. |
De chacune, il est nécessaire pour nous
de disputer, puisque Paul, le bienheureux apôtre, suivant lordre de son
prédécesseur Jean, nécrit nominativement quà sept Eglises, sous cet ordre:
aux Corinthiens la première, aux Ephésiens la deuxième, aux Philippiens la troisième,
aux Colossiens la quatrième, aux Galates la cinquième, aux Thessaloniciens la sixième,
aux Romains la septième. Bien que, pour correction, il répète aux Corinthiens et aux
Thessaloniciens. |
De chacune de ces épîtres nous avons à
discuter, puisque le bienheureux apôtre Paul lui-même, suivant la manière de son
prédécesseur Jean na écrit sous leur nom propre quà sept Eglises, selon
cet ordre: la première aux Corinthiens, la seconde aux Ephésiens, la troisième aux
Philippiens, la quatrième aux Colossiens, la cinquième aux Galates, la sixième aux
Thessaloniciens, la septième aux Romains, quoiquil ait récidivé avec les
Corinthiens et les Thessaloniciens par manière de retouche; |
Pourtant, une seule Eglise répandue par
toute la terre peut être discernée. Jean aussi, en effet, dans lApocalypse, bien
quil écrive à sept Eglises, parle pourtant à toutes. [Puis] à vrai dire, à Tite
une, à Timothèe deux, pour laffection et la dilection; elles sont pourtant
sanctifiées, à lhonneur de lEglise catholique, à lordonnancement de
la discipline ecclésiastique. |
on sait pourtant quil ny a
quune seule Eglise, répandue sur tout le cercle de la terre, car Jean lui-même
tout en écrivant lApocalypse à sept Eglises, sadresse cependant à toutes.
Que sil existe une (épître) à Philémon et une à
Tite et deux à Timothèe, par attachement et affection, cependant parce quelles
tendaient à lhonneur de lEglise catholique par le bon ordre de la discipline
ecclésiastique, elles ont été composées avec un caractère sacré. |
On parle aussi dune lettre aux
Laodiciens et dune aux Alexandrins, forgées sous le nom de Paul pour
lhérésie de Marcion, et de plusieurs autres, que lon ne peut recevoir dans
lEglise catholique. Le fiel en effet ne doit pas être mélangé avec le miel. |
Il circule aussi une (épître) aux
Laodiciens et une autre aux Alexandrins qui prennent faussement
le nom de Paul pour soutenir lhérésie de Marcion et beaucoup dautres pièces
qui ne peuvent être reçues dans lEglise catholique, car il ne convient pas de
mêler le fiel au miel. |
Par contre, la lettre de Jude et deux
lettres signées de Jean doivent être retenues dans
lEglise catholique, de même que la Sagesse écrite par des amis de Salomon en
lhonneur de celui-ci. |
Assurément lépître de Jude et deux inscrites au
nom de (Pierre) sont dans lEglise catholique (et une de Jacques). [Et la sagesse de
Salomon écrite par Philon en lhonneur de ladite Sagesse.] |
Nous recevons seulement les Apocalypses de
Jean et de Pierre; celle-ci, à vrai dire, certains des nôtres ne veulent pas
quelle soit lue dans lEglise. |
Nous recevons aussi une Apocalypse de Jean
et une de Pierre seulement, que quelques-uns des nôtres ne veulent pas quon lise
dans lEglise. |
Le Pasteur maintenant; bien plus
récemment, en nos temps, Hermas lécrivit à Rome, alors que siégeait dans la
chaire de lEglise de la ville de Rome son frère, lévêque Pius. |
Mais quant au Pasteur, Hermas la
écrit récemment de notre temps dans la ville de Rome, pendant que lévêque Pie,
son frère, était assis sur la chaire de la Ville de Rome. |
Cest pourquoi il convient sans doute
de le lire, mais il ne peut
être rendu public au peuple dans lEglise, ni entre les prophètes, ni entre les
apôtres à la fin des temps. |
Et la Sagesse de Salomon
(a été) écrite par Philon en lhonneur de ladite Sagesse. Et
par conséquent il faut bien [la] lire, mais on ne peut la présenter officiellement dans lEglise au peuple, ni parmi
les prophètes dont le nombre est complet, ni parmi les Apôtres dans la fin des
temps ". |
Darsinous par
contre, ou de Valentin et de Miltiade, nous ne recevons absolument rien, qui ont écrit
aussi un nouveau livre de Psaumes pour Marcion, avec Basilide [et] lAsien fondateur
des cataphrygiens. |
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Un bref
commentaire personnel
Fort heureusement, sur la
très grande majorité du texte, il y a accord entre les deux traductions. La formulation
est la plupart du temps différente, des précisions sont parfois apportées chez
lun pour mieux marqué une affirmation, sans toutefois modifier le sens de la
phrase.
Cependant, certaines différences sont
troublantes, voir déroutantes, pour le néophyte que je suis. Comment en effet expliquer
les importants écarts de traduction rencontrés pour dune part les épîtres
Pauliniennes, dautre part les épîtres catholiques ?
P. Vallin omet totalement de mentionner dans sa
liste de épîtres Pauliniennes le billet de Paul à Philémon, alors que M.J. Lagrange y
fait mention de façon tout à fait explicite. Concernant les épîtres catholiques,
cest tout aussi déroutant; les deux traducteurs sont daccord sur Jude, mais
lun (P. Vallin) fait référence à Jean pour les deux lettres suivantes,
lautre (M.J. Lagrange) à Pierre. En sus, M.J. Lagrange mentionne lexistence
d « une de Jacques ».
Dans une moindre mesure, lévocation du
Pasteur dHermas est différente dune traduction à lautre. Les deux
traducteurs font référence à son élaboration tardive. Mais si P. Vallin fait du Pasteur le sujet de linterdiction
de lecture au peuple dans lÉglise, selon lui « ... il convient sans doute de le lire ». M.J.
Lagrange propose une traduction différente et précise que linterdit de
présentation au peuple porte sur la Sagesse de Salomon, non sur le Pasteur dHermas.
La traduction proposée par M.J. Lagrange quant au statut du Pasteur fait simplement
mention de son élaboration récente avec un « Mais quant au Pasteur ... » que
jinterprète comme exclusif.
Le lecteur se retrouve donc
quelque peu dérouté, insuffisamment armé (que je suis) face au problème du choix entre
deux versions forts différentes. A croire que pour ces deux exemples,
linterprétation du spécialiste prend à certains moments le pas sur la traduction
fidèle du texte. Comment peut-on lire dun coté « Jean » et de
lautre « Pierre » ? Comment lun peut-il ne rien lire là ou
lautre lit « Philémon » ?
Comble du paradoxe, le recours à la version
originale latine, bien entendu non disponible pour le commun des mortels lui est-il donc
indispensable afin quil puisse se forger sa propre opinion ?
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